3.

Turbulence Atmosphérique Claire

 

— Quoi ! rugit Horza.

— Radar/à/ci… répéta la combinaison.

— Oh, la ferme !

Il entreprit d’enfoncer des boutons sur sa console de poignet en pivotant çà et là pour scruter les ténèbres environnantes. Il devait y avoir un moyen d’obtenir un affichage vertical sur la surface interne de sa visière, histoire de repérer la provenance des signaux, mais il n’avait pas eu le temps de se familiariser avec la combinaison, et ne réussit pas à trouver le bouton correspondant. Alors il se rendit compte alors qu’il suffisait certainement de demander.

— Combi ! Je veux un panorama à la verticale de la source émettrice !

La visière s’éclaira instantanément en haut à gauche. Horza pivota et se pencha en arrière jusqu’à ce que le point rouge se positionne sur la surface transparente. Puis il enfonça à nouveau le bouton sur son poignet et la combinaison émit un sifflement : elle évacuait du gaz par les becs situés sous ses semelles et le propulsait par la même occasion en lui faisant supporter une pression d’environ une atmosphère. Il ne remarqua aucune différence, à part l’augmentation de son poids, mais la diode rouge s’éteignit, puis se ralluma aussitôt. Il jura. La combinaison annonça :

— Radar/à/cible/f…

— Oui, je sais, coupa Horza.

Il détacha le pistolet à plasma de son bras et enclencha les lasers de la combinaison, sans oublier de couper les propulseurs à gaz. De toute façon, quelle que soit la nature de son poursuivant, Horza ne réussirait pas à le fuir. La sensation de poids disparut à nouveau. La petite lumière rouge continua à palpiter sur la visière. Horza observa ses écrans. La source émettrice se rapprochait en suivant une trajectoire courbe et se trouvait actuellement à 0,01 année-lumière, dans l’espace réel. C’était un radar à basse fréquence, pas particulièrement puissant, trop rudimentaire pour appartenir à la Culture ou aux Idirans. Il ordonna à la combinaison d’annuler sa demande d’affichage, abaissa les lentilles grossissantes contenues dans la partie supérieure de sa visière et les mit en service, visant l’endroit d’où étaient venues les émissions-radar. Un effet doppler du signal – qui continuait à s’afficher sur des micro-écrans du casque – indiquait que la source inconnue ralentissait. Allait-on le prendre à bord, et non lui tirer dessus ?

Un objet se mit à luire de façon imprécise dans le champ des lentilles grossissantes. Le radar cessa d’émettre. Il était à présent tout proche. Horza se sentit brusquement la bouche sèche, et ses mains commencèrent à trembler dans ses gants massifs. L’image que lui transmettaient les lentilles parut subir une explosion de ténèbres ; il releva ces dernières et plongea son regard dans les nappes d’étoiles et la nuit d’encre qui régnait partout. Quelque chose passa en trombe dans son champ de vision, un corps d’une noirceur insondable qui filait sur fond de ciel dans le silence le plus complet. Horza enfonça brutalement le bouton commandant le radar à aiguille de sa combinaison et s’efforça de suivre des yeux la forme qui allait le croiser en masquant les étoiles. Mais il la manqua et se trouva donc incapable d’estimer la distance à laquelle elle l’avait dépassé, ainsi d’ailleurs que sa taille. Il avait perdu sa trace dans le vide entre les étoiles lorsque cette déflagration de ténèbres avait eu lieu devant lui.

— Rad…

— Silence, intervint Horza en vérifiant son arme à plasma.

La forme noire s’enfla, presque en face de lui. Les étoiles oscillèrent et s’avivèrent sous un effet de loupe de toute évidence provoqué par un gauchisseur mal réglé en mode annulation. Horza regarda approcher l’objet. Le radar s’éteignit à nouveau. Il ralluma le sien et le rayon-aiguille se mit à balayer l’appareil qui venait d’apparaître. Il contemplait le résultat sur un de ses écrans internes lorsque l’image vacilla, puis disparut ; les sifflements et autres bourdonnements de la combinaison se turent, et les étoiles commencèrent à s’effacer.

— Tir/effecteur/… de/sape, bégaya la combinaison.

Puis elle s’affaissa et sombra dans l’inconscience en même temps que Horza.

 

Il sentait sous lui quelque chose de dur. La tête lui faisait mal. Il ne parvenait pas à se rappeler où il était, ni ce qu’il était censé y faire. Il ne se souvenait que de son nom. Bora Horza Gobuchul, Métamorphe de l’astéroïde Heibohre, actuellement au service des Idirans dans la guerre sainte qui les opposait à la Culture. Mais quel rapport avec la douleur qui lui vrillait le crâne et le métal rigide et froid sous sa joue ?

Il avait été durement touché. Bien qu’il fût incapable de voir, d’entendre ou de flairer quoi que ce soit, il se rendit vite compte qu’il lui était arrivé un accident très grave, voire mortel. Il s’efforça de rassembler ses souvenirs. Où se trouvait-il avant cela ? Que faisait-il ?

La Main de Dieu 137 ! Son cœur fit un bond au moment où la mémoire lui revint. Il fallait qu’il abandonne le vaisseau ! Où était son casque ? Pourquoi Xoralundra l’avait-il laissé tomber ? Mais où était donc ce crétin de medjel, avec son casque ? Au secours !

Il découvrit qu’il ne pouvait pas bouger.

Quoi qu’il en fût, il ne se trouvait ni sur la Main de Dieu 137, ni à bord d’aucun autre vaisseau idiran : le sol était trop dur et trop froid (si c’était bien le sol), et l’air n’avait pas la même odeur. Il entendait à présent des gens parler. Mais toujours sans rien voir. Il ignorait s’il avait les yeux ouverts – des yeux devenus aveugles – ou fermés sans qu’il puisse rien y faire. Il essaya bien de porter ses mains à son visage pour se rendre compte, mais son corps refusa de bouger.

Les voix étaient humaines. Il y en avait plusieurs. On parlait la langue de la Culture, le marain, mais cela ne signifiait pas grand-chose. Elle était de plus en plus couramment parlée dans toute la galaxie depuis quelques millénaires. Horza la parlait et la comprenait, mais ne s’en était pas servi depuis… depuis sa conversation avec Balvéda, en fait. Mais avant cela, cela remontait très loin. Pauvre Balvéda. Les individus en question bavardaient, mais il ne saisissait pas les mots en eux-mêmes. Il s’efforça de soulever ses paupières, et finit par éprouver une vague sensation. Il n’avait toujours aucune idée de l’endroit où il se trouvait.

Tout ce noir… Alors il se rappela vaguement l’intérieur d’une combinaison, une voix qui parlait de cibles, ou quelque chose dans ce genre. Il comprit brusquement qu’on l’avait fait prisonnier, ou peut-être récupéré in extremis. Il oublia alors ses efforts pour ouvrir les yeux et se concentra sur ce qui se disait autour de lui. Puisqu’il avait parlé marain peu de temps auparavant, la compréhension de cette langue n’aurait pas dû lui poser tant de problèmes. Il fallait qu’il y arrive. Qu’il sache.

— … satané système pendant quinze jours et tout ce qu’on déniche, c’est un vieux bonhomme en combi.

Première voix. De femme, songea-t-il.

— Et sur quoi croyais-tu tomber ? Un vaisseau de la Culture, peut-être ?

Un homme cette fois.

— Eh bien, au moins un morceau de vaisseau, merde !

De nouveau la voix féminine. Quelques rires.

— C’est une bonne combi. Rairch, apparemment. Je la prends pour moi.

Nouvelle voix d’homme. Ton impérieux ; facilement identifiable.

— … pas terribles. Trop silencieuses.

— Elles sont réglables, crétin !

De nouveau l’Homme.

— … des morceaux d’appareils idirans ou de la Culture qui flotteraient dans tous les coins, et on pourrait… ce laser avant… toujours foutu.

Une autre femme.

— L’effecteur n’a pas pu l’endommager, si ?

Encore un autre homme. Une voix jeune qui coupait la parole à la femme.

— Il était en mode aspiration, et non projection, rétorqua celui qui s’exprimait d’un ton de commandant de bord.

Mais qui étaient donc ces gens ?

— … de beaucoup moins que notre papy ici présent, déclara un des hommes.

Lui ! C’était de lui qu’ils parlaient ! Il s’efforça de ne pas donner signe de vie. Il venait juste de comprendre qu’il ne portait plus la combinaison, qu’il était étendu à quelques mètres du petit groupe manifestement occupé à l’observer elle. Certains de ces individus lui tournaient le dos. Il était couché sur le flanc, un bras coincé sous lui, nu et leur faisant face. Il avait toujours mal à la tête, et sentait sa salive s’échapper de sa bouche entrouverte pour lui dégouliner sur le menton.

— … avec eux une arme d’une espèce ou d’une autre. Mais je ne vois vraiment pas où, reprit l’Homme dont la voix changea, comme s’il se déplaçait en parlant.

Apparemment, ils étaient passés à côté du canon à plasma. C’étaient des mercenaires. Sûrement. Des corsaires.

— Tu me donnes ton ancienne combi, Kraiklyn ?

Un homme. Jeune.

— Eh bien voilà, déclara l’Homme. (À la voix, on comprenait que, jusque-là accroupi, il se relevait ou bien se retournait. Il ne tint aucun compte de la question qu’on venait de lui poser.) Un peu décevant, peut-être, mais enfin, on a sa combi. Il est temps de filer de la cour des grands, parce qu’ils ne vont pas tarder à arriver.

— Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?

C’était une des femmes. Horza lui trouva une belle voix et regretta de ne pas pouvoir ouvrir les yeux.

— Ce temple ne devrait pas nous poser beaucoup de problèmes, même sans laser avant. On peut y être en dix jours. On va se réapprovisionner un peu grâce aux trésors religieux de ces gens, et aller acheter des armements lourds sur Vavatch. Là-bas, on pourra dépenser nos biens mal acquis. (L’Homme – Krékeline, ou quelque chose dans ce genre – marqua une pause, puis se mit à rire.) Ne prends pas cet air apeuré, Doro. Tout va bien se passer. Tu ne regretteras pas que j’aie eu vent de cet endroit, une fois qu’on sera riches. Ces maudits prêtres ne sont même pas armés. On débarque, et on n’aura aucun mal à…

— Rembarquer, oui, on sait.

Une voix féminine ; celle qui lui plaisait. Horza percevait à présent la lumière. Rose, devant ses yeux. Sa tête lui faisait encore mal, mais il revenait progressivement à lui. Il se livra à une vérification détaillée de son corps en interrogeant successivement tous ses nerfs à rétroaction afin de jauger son état général. Inférieur à la normale, il ne regagnerait pas la perfection tant que subsisterait cette apparence de vieillard ; encore quelques jours… s’il vivait jusque-là. Il subodora qu’on le croyait déjà mort.

— Zallin, fit l’Homme. Débarrasse-nous de cette mauviette.

Dans un sursaut, Horza ouvrit les yeux en entendant des pas s’approcher. L’Homme venait de parler de lui !

— Aaah ! s’écria quelqu’un tout près. Il n’est pas mort. Je vois ses yeux bouger !

Les pas s’interrompirent. Tout tremblant, Horza se redressa en position assise et plissa les yeux sous l’éclairage. Il avait le souffle court, et un vertige s’empara de lui quand il voulut lever la tête. Enfin son regard s’accoutuma.

Il se trouvait dans un hangar brillamment éclairé mais de petite taille, presque entièrement comblé par une navette antique et durement éprouvée. Il avait pratiquement le dos à la paroi ; contre le mur d’en face se tenaient les gens qu’il avait entendus parler. À mi-chemin se dressait un grand jeune homme solidement bâti mais d’allure disgracieuse, avec des bras très longs et une chevelure argentée. Comme l’avait deviné Horza, sa combinaison était étalée par terre aux pieds du petit groupe d’humains. Il déglutit et cligna les yeux. Le jeune aux cheveux d’argent le regarda fixement en se grattant nerveusement l’oreille. Il portait un short et un tee-shirt effrangé. Un des autres, plus grand, lança :

— Wubslin ! (Ce dernier se retourna vers les autres et Horza sursauta. C’était la voix qui, pour lui, devait appartenir au commandant.) L’effecteur ne fonctionne donc pas correctement ?

Ne les laisse pas parler de toi comme si tu n’étais pas là ! Il s’éclaircit la gorge et prononça d’une voix aussi sonore, aussi péremptoire que possible :

— Votre effecteur marche très bien.

— Dans ce cas, répondit l’homme de haute taille avec un petit sourire et un haussement de sourcils, vous devriez être mort.

Tous le regardaient, à présent, généralement d’un air soupçonneux. Le jeune homme qui se tenait non loin de lui se grattait toujours l’oreille ; il semblait perplexe, voire apeuré. Mais les autres paraissaient simplement désireux de se débarrasser de lui le plus tôt possible. Ils étaient tous humains, ou presque. Hommes et femmes. La plupart portaient une combinaison, ou plusieurs éléments de combinaison, mais on voyait aussi des tee-shirts et des shorts. Le commandant de bord, qui traversait maintenant le petit groupe pour se rapprocher de Horza, était grand et musclé avec une masse de cheveux noirs peignés en arrière qui découvraient son front ; il avait le teint cireux et quelque chose de la bête sauvage dans la bouche et dans les yeux. Sa voix lui allait décidément très bien. Tandis qu’il s’avançait, Horza vit qu’il tenait un pistolet-laser. Sa combinaison était noire et ses lourdes bottes faisaient résonner le pont de métal nu. Il s’arrêta à la hauteur du jeune homme aux cheveux argentés, qui triturait l’ourlet de son tee-shirt en se mordant la lèvre.

— Comment se fait-il que vous ne soyez pas mort ? demanda tranquillement l’Homme à Horza.

— Je suis sacrément plus costaud que j’en ai l’air.

L’Homme sourit et hocha la tête.

— Je m’en doute. (Il se retourna et regarda brièvement la combinaison.) Et que faisiez-vous là-dehors dans ce truc ?

— Je travaillais pour les Idirans. Comme ils ne voulaient pas que le vaisseau de la Culture me prenne, et qu’ils comptaient me récupérer plus tard, ils m’ont jeté par-dessus bord pour que j’attende l’arrivée de la flotte. Au fait, elle devrait être là d’ici huit ou dix heures, alors à votre place, je ne traînerais pas trop dans le coin.

— Tiens donc, répondit posément le commandant en haussant à nouveau les sourcils. Vous m’avez l’air sacrément bien informé, vieillard.

— Je ne suis pas si vieux que ça. Ce que vous voyez est le travestissement que j’ai revêtu pour ma dernière mission – grâce à une drogue agissant sur l’âge apparent. L’effet est en train de s’estomper. Encore un jour ou deux et je serai de nouveau en état de me rendre utile.

L’Homme secoua tristement la tête.

— Je crains bien que non. (Il tourna les talons et rejoignit les autres.) Balance-le par-dessus bord, ordonna-t-il au jeune homme en tee-shirt, qui se mit immédiatement en marche.

— Non mais, attendez un peu, là ! cria Horza en se relevant tant bien que mal.

Il recula contre le mur, les mains tendues, paumes ouvertes ; mais l’adolescent venait droit sur lui. Les autres partageaient leur attention entre lui et leur chef. Horza se jeta en avant et décocha au jeune homme un coup de pied trop preste pour que celui-ci puisse intervenir. Il l’atteignit au niveau des parties génitales et l’autre émit un son étranglé avant de tomber sur le pont, les mains crispées sur son entrejambe. L’Homme avait fait volte-face. Il contempla son camarade, puis Horza.

— Mais encore ? fit-il.

Horza eut la nette impression que tout cela l’amusait. Il indiqua l’adolescent, qui s’était mis à genoux.

— Je vous l’ai dit : je peux rendre des services. Je me bats bien. Vous pouvez garder la combi si…

— Je vous signale qu’elle est déjà en ma possession, coupa sèchement le commandant.

— Alors, donnez-moi au moins une chance. (Horza les dévisagea tour à tour.) Vous êtes des mercenaires, c’est ça ? (Pas de réponse. Il sentit qu’il commençait à transpirer et interrompit net le processus.) Prenez-moi avec vous. Tout ce que je demande, c’est qu’on me donne ma chance. Si je la laisse passer, alors vous me balancez.

— Pourquoi ne pas s’en occuper tout de suite ? demanda le commandant en écartant les bras. Ça irait plus vite, ajouta-t-il en riant.

Quelques-uns l’imitèrent.

— Une petite chance, répéta Horza. Je ne vous demande quand même pas grand-chose.

— Je regrette, fit l’autre en secouant la tête. Nous sommes déjà trop nombreux.

Le jeune aux cheveux d’argent levait sur Horza un visage déformé par la douleur et la haine. Quant aux autres, ils regardaient l’intrus d’un air ironique ou, souriants, échangeaient des propos à voix basse en le désignant de la tête. Il se rendit brusquement compte qu’à leurs yeux, il n’était qu’un vieillard maigrichon, et de surcroît nu comme un ver.

— Et merde ! cracha-t-il en rivant sur l’Homme un regard furibond. Donnez-moi cinq jours et je vous prends quand vous voulez !

Les sourcils du commandant se haussèrent. L’espace d’une seconde, son visage exprima une nuance de colère, puis il éclata de rire et agita son laser en direction de Horza.

C’est bien, vieillard. Voici ce qu’on va faire. (Les mains sur les hanches, il contempla en hochant la tête le jeune toujours agenouillé.) Vous n’avez qu’à vous battre contre Zallin ici présent. Prêt pour la bagarre, Zallin ?

— Je vais le tuer, répondit l’intéressé en fixant obstinément la gorge de Horza.

L’Homme rit à nouveau et, dans son dos, quelques mèches de cheveux noirs s’échappèrent du col de sa combinaison.

— C’est bien le but de la manœuvre. (Il reporta son regard sur Horza.) Je vous l’ai dit : nous sommes déjà à l’étroit ici. Il va falloir libérer une place. (Il se retourna vers les autres.) Dégagez-leur un espace. Et qu’on donne un short à ce vieux ; il me coupe l’appétit.

L’une des femmes lui jeta un short, qu’il enfila. On avait emporté la combinaison ; la navette garée dans le hangar roula latéralement sur deux ou trois mètres et alla heurter la paroi du fond. Zallin finit par se remettre sur pied et rejoindre les autres. On lui vaporisa un anesthésique sur les parties génitales et Horza songea : Dieu merci, elles n’étaient pas rétractiles. Adossé au mur, il observait le petit groupe. Zallin était le plus grand de tous. Il avait des bras qui lui descendaient presque jusqu’aux genoux, et gros comme la cuisse de Horza, avec ça.

Ce dernier vit le commandant le désigner d’un mouvement de tête, et une des femmes s’approcha de lui. Elle avait un petit visage dur, la peau sombre et des cheveux blonds tout hérissés. Son corps tout entier était mince et ferme, et Horza se dit qu’elle avait une démarche d’homme. Lorsqu’elle fut tout près de lui, il distingua un léger duvet sur son visage ; la longue chemise qu’elle portait en révélait également la présence sur ses jambes et ses bras. Elle s’arrêta à sa hauteur et le regarda de la tête aux pieds.

— Je serai votre témoin, si ça peut vous soulager.

C’était elle, la voix plaisante qu’il avait remarquée au début. Malgré sa peur, Horza se sentit déçu. Il agita la main et répondit :

— Mon nom est Horza, puisque vous insistez pour le connaître.

Imbécile ! se morigéna-t-il. Qu’est-ce qui te prend de leur donner ton vrai nom ? Pourquoi ne pas leur apprendre que tu es un Métamorphe, aussi ? Crétin !

— Yalson, répondit-elle avec brusquerie tout en lui tendant la main.

Horza ne sut pas très bien s’il s’agissait de son nom ou bien d’une forme de salut. Il s’en voulait à mort. Comme s’il n’avait pas déjà assez de problèmes, voilà qu’il leur révélait son vrai nom ! Cela resterait sans doute sans conséquence, mais il savait trop bien que ce sont souvent les petits dérapages, les erreurs apparemment mineures qui font la différence entre l’échec et le succès, voire entre la mort et la vie. Il comprit enfin ce qu’elle attendait de lui et lui prit la main. Elle était sèche et froide, mais vigoureuse. La femme lui serra la main en retour, et retira la sienne avant qu’il n’ait pu en faire autant. Ignorant totalement de quelle région venait cette femme, il n’en tira guère de conclusions. Mais chez lui, ce geste aurait représenté une invite bien spécifique.

— Horza, hein ? (Elle hocha la tête et posa les mains sur ses hanches comme l’avait fait le commandant un peu plus tôt.) Eh bien, bonne chance, Horza. À mon avis, Kraiklyn tient Zallin pour le moins indispensable des membres de l’équipage ; il ne vous en voudra donc pas beaucoup si vous gagnez. (Elle baissa les yeux sur la bedaine flasque et la poitrine décharnée de Horza, et son front se barra d’un pli soucieux.) Si vous l’emportez, répéta-t-elle.

— Merci beaucoup, déclara-t-il en s’efforçant de rentrer le ventre et de bomber le torse. (Il indiqua les autres.) On prend les paris, là-bas ? demanda-t-il en essayant de sourire.

— Seulement sur la durée totale du combat.

Le sourire hésitant de Horza s’effaça. Il détourna les yeux et dit :

— Vous savez, j’ai déjà assez de raisons de déprimer sans que vous en rajoutiez. Si vous voulez jouer de l’argent, allez-y, ne vous gênez pas pour moi.

Il reporta son regard sur la femme et n’y lut pas trace de compassion, ni même de vague sympathie. Elle le regarda encore une fois de la tête aux pieds, puis hocha la tête, tourna les talons et repartit se joindre aux autres. Horza laissa échapper un juron.

— On y va ! annonça Kraiklyn en frappant dans ses mains gantées.

Le groupe se divisa, et on alla s’aligner contre deux parois opposées du hangar. À l’autre bout de l’espace qu’on venait ainsi de dégager, Zallin lançait des regards noirs à Horza. Celui-ci se détacha de la paroi et se secoua ; il devait se décontracter et se tenir prêt.

— Bon, c’est un combat à mort, vous deux, déclara Kraiklyn en souriant. Pas d’armes, mais je ne vois pas non plus d’arbitre, alors… que le meilleur gagne. O.K., allez-y.

Horza s’éloigna encore un peu de la paroi. Zallin venait sur lui, la tête rentrée dans les épaules et les genoux fléchis ; ses bras tendus évoquaient une paire de mandibules démesurées appartenant à un énorme insecte. Horza savait très bien que s’il employait toutes ses armes corporelles (si toutefois il les avait toutes à sa disposition : il ne fallait pas oublier qu’on lui avait arraché ses toxidents sur Sorpen), il était pratiquement sûr de gagner, sauf si Zallin réussissait par hasard à le frapper au bon endroit. Seulement il avait également la certitude que, s’il se servait de sa seule arme vraiment efficace (les glandes toxiques logées sous ses ongles), les autres devineraient sa nature et signeraient son arrêt de mort. S’il avait encore eu ses dents, il aurait pu s’en tirer en mordant Zallin. Le toxique affectait le système nerveux central, et sa victime s’en serait trouvée progressivement ralentie ; peu de chances pour que les autres s’aperçoivent de quoi que ce soit. Mais quant à le griffer… ils y resteraient tous les deux. Le poison contenu dans les vésicules sous ses ongles paralysait les muscles les uns après les autres, à partir du point de pénétration, et il serait bientôt évident que Zallin n’avait pas été griffé par des ongles ordinaires. Même en admettant que les autres ne l’accusent pas de tricherie, l’Homme, Kraiklyn, comprendrait forcément qu’il avait affaire à un Métamorphe et le ferait exécuter sans attendre.

Les Métamorphes représentaient une menace pour tous ceux qui gouvernaient par l’intimidation, que ce soit par le biais de la volonté ou celui des armes. Amahain-Frolk l’avait su, et Kraiklyn devait le savoir aussi.

L’espèce de Horza faisait aussi l’objet d’un dégoût certain, profondément enraciné dans la nature humaine. Non seulement la souche génétique avait été, dans leur cas, considérablement modifiée, mais ils menaçaient les autres dans leur identité, ils défiaient l’individualisme, même chez ceux qu’ils auraient eu le plus grand mal à contrefaire. Cela n’avait rien à voir avec l’âme, ou la notion de possession physique ou spirituelle ; ainsi que le comprenaient très bien les Idirans, c’était la reproduction d’autrui au niveau comportemental qui révoltait tout le monde. L’individualité, ce trésor que les humains chérissaient plus que tout autre en eux-mêmes, se trouvait d’une certaine manière rabaissée par la facilité avec laquelle un Métamorphe en méprisait les limites pour l’utiliser comme travestissement.

Mais il s’était métamorphosé en vieillard, et il en supportait encore les conséquences. Zallin était maintenant tout proche.

L’adolescent plongea en avant, usant de ses bras formidables comme de pinces et cherchant gauchement à attraper Horza. Ce dernier l’esquiva et fit un bond de côté, prenant de vitesse son agresseur. Avant que celui-ci ait pu suivre le mouvement, le Métamorphe lui expédia un coup de pied en direction du visage, qui ne réussit qu’à l’atteindre à l’épaule. Zallin poussa un juron. Horza en fit autant. Il s’était fait mal au pied.

Tout en se frottant l’épaule, le jeune homme revint à la charge ; il s’y prit tout d’abord avec une certaine nonchalance, puis détendit brusquement un bras démesurément long et son poing effleura le visage de Horza. Le Métamorphe sentit sur sa joue le courant d’air déplacé par le mouvement. Si l’autre avait réussi à le faucher, si son coup avait porté, le combat se serait arrêté là. Il feinta d’un côté, puis sauta brusquement de l’autre côté et pivota sur un talon afin de lui décocher une nouvelle ruade, visant cette fois l’entrejambe. Il atteignit son but, mais le jeune homme se contenta de sourire douloureusement et chercha à nouveau à attraper Horza. Le vaporisateur avait dû annihiler toute sensation dans cette partie de son anatomie.

Horza se mit à tourner autour de son adversaire, qui le fixait avec une concentration intense. Il continuait d’arrondir les bras devant lui, comme s’il s’agissait réellement de pinces, et ses doigts se contractaient spasmodiquement ; on l’aurait dit impatient de prendre enfin Horza à la gorge. Le Métamorphe avait à peine conscience des spectateurs, des lampes ou de l’équipement du hangar. Tout ce qu’il voyait, c’était l’adolescent en position défensive, prêt à bondir, avec ses bras puissants et ses cheveux d’argent, son tee-shirt effrangé et ses souliers légers. Ceux-ci se mirent tout à coup à grincer sur le métal du pont, et Zallin revint à l’attaque. Horza virevolta et détendit sa jambe droite. Son pied alla frapper Zallin à l’oreille droite, et le jeune homme fit un bond en arrière en se massant le côté de la tête.

Horza se rendit compte qu’il perdait son souffle. Il dépensait trop d’énergie à se maintenir en état de tension maximale, prêt à parer à la prochaine attaque ; en attendant, il ne blessait pas suffisamment son adversaire. À ce rythme, l’autre l’aurait bientôt à l’usure, sans même avoir à lui tomber dessus.

Zallin ouvrit à nouveau les bras et se remit à avancer. Horza sauta de côté, arrachant un gémissement de douleur à ses muscles de vieillard. Zallin tourna sur lui-même. Horza bondit en avant, pivota à nouveau sur un pied tout en projetant l’autre vers l’estomac de son ennemi. L’impact produisit un son satisfaisant ; Horza fit mine de s’écarter d’un bond, puis se rendit compte que son pied ne suivait pas : Zallin le retenait. Le Métamorphe s’effondra sur le pont.

Zallin vacillait, une main appliquée à hauteur de diaphragme. Haletant, il se plia en deux, puis fit quelques pas chancelants (Horza se dit qu’il avait dû lui briser une côte), mais ne relâcha pas son étreinte. Horza avait beau tirer et tordre son pied en tous sens, il ne réussit pas à le dégager.

Il tenta de produire une impulsion-sueur dans la partie inférieure de sa jambe droite ; il n’avait pas pratiqué cette méthode depuis l’entraînement au combat singulier dispensé par l’Académie de Heibohre, mais cela valait la peine d’essayer. Tout était bon, du moment qu’il avait une chance de desserrer l’étreinte de l’autre. Mais la tentative resta infructueuse. Il avait dû oublier comment on s’y prenait, ou bien ses glandes artificiellement vieillies ne pouvaient plus réagir assez vite. Quoi qu’il en fût, il restait prisonnier. Zallin se remettait du coup. Il secoua la tête, et ses cheveux miroitèrent sous les lumières du hangar ; alors il referma son autre main sur la cheville de Horza.

Le Métamorphe marchait en rond sur les mains, un pied captif, l’autre pendant dans le vide, s’efforçant de prendre appui sur le pont. Zallin le regarda fixement et se mit à faire de grands gestes circulaires, comme pour lui arracher le pied droit. Horza interpréta correctement la manœuvre et, de tout son corps, anticipa le déplacement ; il se retrouva à son point de départ, un pied prisonnier des mains de Zallin et ses propres paumes frappant le sol de biais, à mesure qu’il s’efforçait de s’adapter aux mouvements de l’autre. Je pourrais l’attaquer aux jambes ; leur foncer dessus et y planter mes dents, songea Horza en cherchant désespérément quoi faire. Dès qu’il ralentira le rythme, j’aurai ma chance. Ils n’y verront que du feu. Il suffit simplement que je… Alors, bien sûr, cela lui revint. Ils les lui avaient arrachées. Ces vieux salauds – et Balvéda par la même occasion – allaient finalement le tuer, cette dernière depuis sa tombe. Tant que Zallin tiendrait ainsi son pied, le combat ne pouvait avoir qu’une seule issue.

Oh, et puis tant pis. Je le mords quand même. Cette pensée le surprit lui-même ; elle fut conçue et exécutée avant même qu’il ait vraiment eu le temps de l’envisager. Il se retrouva brusquement en train de tirer sur sa jambe prisonnière tout en poussant de toutes ses forces sur ses deux mains ; puis il se jeta dans les jambes de Zallin et planta les dents qui lui restaient dans le mollet droit du jeune homme.

— Aaaah ! hurla ce dernier.

Horza serra encore les mâchoires et sentit l’autre relâcher un tant soit peu son étreinte autour de sa cheville. Il releva brusquement la tête dans l’intention d’emporter un morceau de chair. Il avait l’impression que sa rotule allait exploser et son tibia se briser mais il se concentra sur sa bouchée de chair vive et se projeta aussi fort qu’il put contre le corps de Zallin. Celui-ci lâcha prise.

Horza l’imita et s’éloigna précipitamment de l’adolescent, dont les deux mains s’abattaient en direction de sa tête. Le Métamorphe se releva ; sa cheville et son genou lui faisaient mal, mais n’avaient pas subi de dommages. Zallin s’avança en boitant ; le sang ruisselait sur son mollet. Horza changea de tactique, se précipita sur lui et le frappa en plein ventre, sous la garde rudimentaire que formaient ses bras énormes. Zallin porta ses deux mains au niveau de son estomac et, obéissant à un réflexe, s’accroupit. En arrivant à sa hauteur, Horza frappa des deux mains sur le cou de l’autre.

Normalement, le coup aurait dû tuer son adversaire ; mais Zallin était fort, et Horza encore faible. Ce dernier recouvra son équilibre, se retourna, et faillit heurter certains des mercenaires alignés contre la paroi ; le combat s’était déplacé d’un bout à l’autre du hangar. Avant qu’il ait pu le frapper à nouveau, Zallin se redressa, le visage enlaidi par l’agressivité et la frustration. Il poussa un cri et fonça tête baissée sur Horza, qui se contenta de faire un pas de côté. Mais le jeune homme trébucha dans sa course et, par le plus grand des hasards, son crâne vint percuter le ventre de Horza.

Le coup fut d’autant plus douloureux et démoralisant qu’il était inattendu. Horza tomba et roula sur lui-même en s’efforçant par la même occasion de faire basculer son agresseur par-dessus lui, mais celui-ci s’abattit sur lui, au contraire, et le cloua au sol. Le Métamorphe se tortilla en vain. Il était coincé.

Zallin se redressa légèrement en prenant appui sur une de ses paumes, et leva l’autre derrière sa tête tout en rivant un regard mauvais sur son adversaire à terre. Horza se rendit brusquement compte qu’il n’avait plus d’issue. Il regarda s’élever et reculer ce poing, prit conscience de son propre corps aplati au sol et de ses bras immobilisés, et sut que tout était fini. Il avait perdu la partie. Il se prépara à tourner la tête aussi vite que possible afin d’esquiver ce coup susceptible de lui fracasser à tout moment les os de la face, et s’efforça une nouvelle fois de bouger les jambes ; mais c’était sans espoir. Il eut envie de fermer les yeux, puis se ravisa. Peut-être l’Homme va-t-il me prendre en pitié. Il a bien vu que je savais me battre. Je n’ai pas eu de chance, c’est tout. Peut-être va-t-il arrêter ça et…

Le poing de Zallin s’immobilisa, tel le couperet suspendu tout en haut de la guillotine juste avant qu’on ne le libère.

Et ne s’abattit pas. Comme Zallin se raidissait, son autre main calée sur le pont, qui supportait le poids de son torse, dérapa et se déroba brusquement : elle avait glissé sur son propre sang. Il poussa un grognement de surprise. En s’effondrant sur Horza, il pivota légèrement ; le Métamorphe sentit sur son corps la pression s’atténuer. Zallin roula sur lui-même, et Horza en profita pour se soulever de terre, puis rouler dans la direction opposée. Il se retrouva au pied des mercenaires qui observaient l’affrontement. La tête de Zallin heurta le plancher ; le choc ne fut pas très rude, mais avant que le jeune homme ait pu réagir, Horza se jeta sur son dos, referma ses mains autour de son cou et tira vers l’arrière le crâne aux cheveux d’argent. Puis il enfourcha Zallin et l’immobilisa.

L’autre ne bougeait plus. Un gargouillement sortait de sa gorge prisonnière. Il avait suffisamment de force pour repousser le Métamorphe, se retourner sur le dos et l’écraser ; mais avant qu’il ait pu faire quoi que ce soit, une seule contraction des mains de Horza lui aurait rompu le cou.

Zallin avait les yeux levés vers Kraiklyn, qui se tenait presque en face de lui. Hors d’haleine, baigné de sueur, Horza plongea à son tour son regard dans les yeux profondément enfoncés de l’Homme. Zallin se tortilla un peu, puis sentit Horza raidir ses avant-bras et se tint tranquille.

Ils avaient tous les yeux rivés sur lui, tous ces mercenaires, pirates ou boucaniers, quel que fût le nom qu’ils se donnaient. Ils faisaient cercle contre les deux parois du hangar et regardaient Horza. Mais seul Kraiklyn le regardait dans les yeux.

— On n’est pas obligés d’aller jusqu’au bout, haleta Horza. (Il contempla un instant les cheveux argentés de son ennemi, dont quelques mèches étaient plaquées sur son crâne par la transpiration. Puis il revint à Kraiklyn.) J’ai gagné. Vous n’avez qu’à débarquer le gamin à votre prochaine escale. Ou me débarquer moi. Je ne tiens pas à le tuer.

Sa jambe droite était en contact avec une substance tiède et gluante répandue sur le pont. Il comprit que c’était le sang qui s’écoulait du mollet blessé de Zallin. Kraiklyn arborait une expression curieusement distante. Le pistolet-laser ressortit souplement de son baudrier, trouva sa place dans la main gauche du commandant et visa Horza en plein front. Dans le silence absolu qui régnait, ce dernier l’entendit se mettre en marche avec un cliquètement suivi d’un bourdonnement, à un mètre à peine de son crâne.

— Alors tu vas mourir, l’informa Kraiklyn d’une voix neutre, égale. Je n’ai pas de place à bord pour un homme qui ne sait pas s’offrir de temps en temps un bon petit meurtre.

Horza regarda Kraiklyn dans les yeux, par-dessus le canon immobile du pistolet-laser. Zallin gémit.

Le craquement se répercuta sur les surfaces métalliques du hangar et résonna comme un coup de feu. Horza écarta les bras sans quitter des yeux le visage du mercenaire en chef. Le corps inerte de Zallin retomba mollement sur le pont et s’affaissa sous son propre poids. Kraiklyn sourit et rengaina son arme, qui s’éteignit avec un déclic et une stridulation décroissante.

— Bienvenue à bord de la Turbulence Atmosphérique Claire.

Kraiklyn soupira et enjamba le cadavre de Zallin. Puis il s’avança jusqu’au milieu de la paroi qui lui faisait face, ouvrit une porte et disparut avec un bruit de bottes résonnant sur des marches. La plupart des autres lui emboîtèrent le pas.

— Bien joué.

Toujours à genoux, Horza se retourna en s’entendant apostropher. C’était à nouveau la femme dont il aimait la voix, Yalson. Là encore, elle lui tendit la main, mais cette fois, pour l’aider à se relever. Il la saisit avec gratitude et se remit sur pied.

— Je n’y ai pris aucun plaisir, lui dit-il. (Il passa son avant-bras sur son front pour en chasser la sueur et plongea son regard dans les yeux de la femme.) Votre nom, c’est bien Yalson, c’est ça ?

Elle hocha la tête.

— Et vous, vous êtes Horza.

— Alors salut, Yalson.

— Salut, Horza.

Elle sourit à demi et Horza aima son sourire. Puis il reporta son attention sur le cadavre écroulé en tas sur le pont. La blessure de sa jambe ne saignait plus.

— Qu’est-ce qu’on va faire de ce pauvre type ? demanda-t-il.

— Le balancer par-dessus bord, quoi d’autre ?

Yalson releva les yeux sur les autres membres d’équipage demeurés dans le hangar, trois individus de sexe mâle, tous recouverts d’une épaisse fourrure, solidement bâtis et vêtus de shorts. Ils se tenaient au coude à coude près de la porte et le dévisageaient avec curiosité. Tous trois portaient de grosses bottes, comme si on les avait dérangés au moment d’enfiler leur combinaison. Horza eut envie de s’esclaffer, mais préféra leur sourire et les saluer de la main.

— Salut !

— Ah, je vous présente les Bratsilakins, annonça Yalson tandis que les trois silhouettes velues agitaient à son intention, avec un léger décalage, leurs mains couleur gris fer. Numéros Un, Deux et Trois, poursuivit-elle en les désignant successivement d’un mouvement du menton. Nous sommes certainement la seule Libre Compagnie à trimballer un groupe de clones paranoïaques.

Horza la dévisagea pour s’assurer qu’elle ne plaisantait pas, et juste à cet instant les trois humains à fourrure s’approchèrent de lui.

— N’écoutez pas ce qu’elle vous dit, entama l’un d’une voix très douce qui surprit Horza. Elle n’a jamais pu nous sentir. Nous espérons seulement que vous êtes de notre côté à nous.

Six yeux anxieux le scrutaient. Il fit de son mieux pour sourire.

— Comptez là-dessus, répondit-il.

Ils lui rendirent son sourire et s’entre-regardèrent en échangeant des hochements de tête.

— On va mettre Zallin dans un vactube. On le balancera plus tard, proposa Yalson aux trois autres.

Elle se dirigea vers le cadavre, et deux des Bratsilakins l’imitèrent. À eux trois, ils transportèrent le corps inerte dans un coin du hangar. Là, ils soulevèrent quelques lattes métalliques du plancher, ouvrirent une écoutille circulaire et tassèrent Zallin dans un espace exigu avant de refermer le tout. Le troisième Bratsilakin prit un morceau de tissu accroché à un panneau mural et entreprit d’éponger le sang qui maculait le pont. Puis le groupe de clones velus prit le chemin de la porte et des escaliers qu’elle dissimulait. Yalson marcha sur Horza et eut un mouvement de tête latéral.

— Venez. Je vais vous montrer où vous pourrez vous nettoyer.

Il la suivit en direction de la porte. À un moment, elle se retourna.

— Les autres sont allés manger. Je vous retrouve au mess si vous y arrivez à temps. Vous n’avez qu’à vous repérer à l’odeur de nourriture. Et puis, il faut que j’aille ramasser mes gains.

— Vos gains ?

Ils atteignirent la porte. Yalson posa la main sur ce qui devait être un interrupteur commandant l’éclairage du hangar. Elle se retourna et le regarda dans les yeux.

— Mais oui. (Elle exerça une pression de la main. Les lumières demeurèrent, mais Horza sentit une vibration sous la plante de ses pieds et entendit un sifflement suivi d’un bruit comparable à celui d’une pompe qui se met en marche.) J’ai parié sur vous, poursuivit Yalson, qui lui tourna alors le dos et s’élança dans l’escalier en grimpant les marches quatre à quatre.

Horza jeta un dernier regard dans le hangar, puis partit à sa suite.

Juste avant de rentrer en gauchissement, comme son équipage passait à table la Turbulence Atmosphérique Claire expulsa le corps sans vie de Zallin. Là où le vaisseau avait trouvé un homme bien vivant dans sa combinaison, il abandonna un jeune garçon en short et tee-shirt en lambeaux qui, pétrifié par le froid, s’éloigna en tournoyant tandis qu’une fine coquille de molécules d’air s’épanouissait autour du cadavre, image de vie en partance.

Une forme de guerre
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